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Vous avez dit "pénalisation" ?

Dernière mise à jour : 24 janv. 2022

En ce jour de visibilité des travailleuses et travailleurs du sexe, j'ai envie d'écrire. J'ai envie d'écrire aujourd'hui à propos du métier que je fais (oui, il s'agit bien d'un métier). Plus précisément, j'ai envie de parler de la précarité de ce travail dûe à sa stigmatisation et sa criminalisation, qui perdurent en France.


2016, la loi de pénalisation des clients est votée. Cette loi renforce le déséquilibre de pouvoir entre les travailleuses et les acheteurs de services sexuels. Elle favorise la sollicitation de clients malveillants, tandis que les plus respectueux, ne voulant pas être dans l'illégalité, disparaissent. Du fait de cette même illégalité, les acheteurs restants se sentent légitimes de tout négocier : le prix, les pratiques, la protection le respect.


Quels sont les effets de cette loi ? Les travailleuses du sexe subissent plus de pression pour accepter un client. On travaille plus tard, on est plus seules et plus isolées. Enfin, du fait de la précarisation de notre travail, choisir et jauger si on accepte de voir un homme ou pas est un luxe. Cette loi supposée nous protéger n'a en fait que des conséquences dramatiques pour nous. Elle aggrave la situation des travailleuses les plus pauvres, les rendant beaucoup plus vulnérables et presque conditionnel le travail dans la rue. Avant de les rejeter, c'est important d'avoir conscience que toutes les escortes ne peuvent pas se payer une annonce à 100e par mois sur un site.

La loi de pénalisation des clients nous enlève le choix. Le choix de notre bien-être, de nos conditions de travail, de notre sécurité. L’État français n’œuvre qu'à notre rabaissement et à notre extinction. Notre travail est jugé illégitime, sale, et dangereux. Rappelons le, nous vivons dans une société patriarcale dans laquelle il est inconcevable qu'une femme puisse décider de ce qu'elle fait de son corps. Certes, la conscience féministe est prônée, encouragée, mais jusqu'à une certaine limite seulement. La liberté sexuelle des femmes et personnes afab est toujours critiquée. Quoi qu'on en dise, le Slut Shaming et la culture du viol existent et restent endurcis. Il est toujours bien commun de s'entendre dire que c'est peut-être de notre faute si on s'est faite agresser. Notre comportement et nos choix sont toujours remis en question.

Finalement, la loi de pénalisation des clients ne fait que pénaliser les travailleuses du sexe elles mêmes, de surcroît. Les villes françaises ont encore tout le loisir de nous réprimer. Dans la nuit du 24 au 25 octobre à Toulouse une "opération coup de poing" a été menée et a conduit à la verbalisation de 28 travailleuses du sexe. Évidemment le silence est total. Ce ne sont pas les associations et les médias abolitionnistes qui dénonceront les répercutions légales à notre encontre. Puisque pour ces personnes, les travailleuses du sexe sont des victimes en soi, des indésirables.

Les études menées par la Fondation Scelles sur les effets de cette loi invisibilisent totalement l'expérience quotidienne qu'en font les premières concernées. Notre précarisation et notre mise en danger psychologique et physique sont ignorées. Aucune travailleuse du sexe n'a été interrogée dans le cadre du travail d'enquête destiné à défendre la loi de pénalisation. Étonnant non ? (C'est une question rhétorique).


Réduites au silence. Pour Grégoire Thery, administrateur de la Fondation Scelles, la voix des travailleuses du sexe ne compte pas. On nous balaye sans scrupule d'un revers de manche. Peu importe qu'une augmentation des violences qu'on subit soit en jeu. Peu importe que notre intégrité et notre santé soient détériorées. Rien n'aura aucun poids pour les abolitionnistes, rien d'autre que la réduction à néant de notre travail, de nos existences. "Ce qui prime, c'est la pureté idéologique et le symbole que représente la loi de 2016, qui doit être à tout prix défendue."


En attendant, le nombre de travailleuses du sexe ne diminue pas, alors que l'exploitation des mineurs comme la traite des êtres humains sont en hausse. L'attention est aujourd'hui tournée sur les travailleuses du sexe qui choisissent de l'être (en particulier sur les travailleuses du sexe présentes sur Internet). Le but réel est de nous priver de notre liberté. Si l’État souhaitait lutter contre l'exploitation des êtres humains, cela ferait longtemps que les H&M seraient clandestins, que des mesures seraient prises pour rendre possible le bien-être et la vie des personnes migrantes en France, que des subventions seraient données aux associations fondées par et pour les personnes concernées...


Ce qui dérange réellement, c'est qu'une femme puisse choisir de "vendre son sexe". Mais dans une société capitaliste c'est absolument hypocrite d'affirmer qu'on ne vend pas toutes et tous nos corps pour vivre. Le principe même du système dans lequel on est, c'est de faire du corps une valeur marchande. Ce qui dérange c'est qu'une femme choisisse de ne plus avoir qu'un seul rôle dans la société, celui d'assurer la reproduction dans un cadre matrimonial. L'amalgame entre lutte contre l'exploitation et lutte contre le travail sexuel est bien avantageux aux abolitionnistes pour qui cette liberté sexuelle et sociale est inconcevable.

Tant qu'on ne reconnait pas que le travail sexuel en est bel et bien un, on rend possible et légitime la mise en œuvre de notre anéantissement. De nos morts passées sous silence, littéralement. Hier, 25 novembre, jour de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Vous êtes-vous renseigné sur le nombre de femmes travailleuses du sexe assassinées cette année ?


Tendrement vôtre,


Lilas

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